Il y a souvent des secrets de famille enfouis quelque part dans l’Histoire. Je n’en suis pas au premier que je découvre dans ma famille élargie depuis que je fais de la généalogie. Quand tu découvres que ta grand-mère maternelle a vécu jusqu’en 1979 et qu’elle est donnée pour morte dans le contrat de mariage de tes parents, il y a de quoi se poser des questions sur ce qui est révélé ou caché dans le temps pour sauver la face ou les réputations.

Mon père Vincent est né de l’union de Ferdinand Gauvreau de Québec et de Desneiges Plamondon de Saint-Raymond. Desneiges était la fille d’Élie Plamondon et de Malvina Thibaudeau. Dernièrement alors que je faisais des recherches en ligne dans les Archives de la Bibliothèque nationale du Québec sur la famille Plamondon, je suis tombé sur un article du Quebec Chronicle de 1907 qui m’a grandement intrigué. On y parlait de l’enquête pour meurtre d’un certain Omer Rochette, accusé d’avoir empoisonné son épouse.

Non seulement je me souvenais très bien que dans notre arbre familial qu’il y avait une sœur de ma grand-mère qui se nommait Julie Anne Plamondon, mais elle était aussi mariée à une personne du nom d’Omer Rochette. Plus intriguant encore, je vois dans l’article deux noms de membre de notre famille; Arthur Plamondon frère de la victime ainsi que sa mère, Madame Élie Plamondon qui assistaient à cette audience. Il y avait trop de coïncidences, je devais poursuivre mes recherches pour en apprendre d’avantage tout en me demandant s’il y avait une trace orale de cette histoire dans la famille.

Mon frère qui a 75 ans m’a dit qu’il avait entendu le nom Rochette prononcé par mon père, mais qu’il ne se souvenait pas à quoi il était relié. Pour ma cousine qui vit à Québec, elle n’en avait jamais entendu parler. C’est une petite cousine éloignée qui habite à Saint-Raymond qui nous a confirmé que sa mère lui avait raconté l’histoire de ce drame familial qui a secoué la famille Plamondon à l’époque.

Un des problèmes avec les comptes-rendus, les différents arbres généalogiques sur plusieurs sites ou les registres des églises, les prénoms et les noms sont parfois mal orthographiés. Ainsi, rarement on appellera Mme Omer Rochette par son nom de fille. Lorsqu’on le fait, c’est sous des prénoms qui ne correspondent pas tout à fait, mais qui ont une phonétique un peu semblable. Julie Anne Plamondon est parfois présentée sous les noms Delia Plamondon, Anna, Anne, Rose-Anne ou Marie-Anne Plamondon. C’est l’analyse en croisement des différents journaux et des documents des registres d’états civils, encore tenus par les églises à cette époque, que je suis parvenu à faire des liens.

Vous pourrez consulter les articles complets sur cette affaire en cliquant sur la source sous chaque image média.

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Quand Julie Anne Plamondon est née le 26 juillet 1877 à Saint-Raymond au Québec, son père Jean Élie Plamondon avait 29 ans et sa mère Malvina Thibaudeau avait 24 ans.

Registre de la paroisse de Saint-Raymond 1877

Julie Anne Plamondon avait 19 ans quand elle a épousé Joseph-Omer Rochette le 8 octobre 1896 à l’Église Saint-Jean-Baptiste de Québec.

Registre Église Saint-Jean-Baptiste 1896

Elle décède à l’âge de 30 ans le 17 novembre 1907 des suites d’une maladie mystérieuse. Ses funérailles ont lieu à l’Église Saint-Roch le 19 du même mois. Elle est inhumée dans la vieille partie de l’actuel Cimetière Saint-Charles de la rue Saint-Vallier à Québec.

Registre de l’Église Saint-Roch, 1907

Une dizaine de jours plus tard, Omer Rochette épouse une certaine Marceau, probablement (sous toute réserve) Filion ou Fillon de son prénom si je me fie à un article paru « Le Bulletin » du dimanche 29 décembre 1907 ainsi qu’à d’autres sources. Dans le même article, on parle de sa première épouse comme étant Délia Plamondon, ce qui est une erreur au niveau du prénom. Le couple quitte Québec à cause des rumeurs qui entourent le décès de la première épouse de Rochette. Un coroner décide de faire exhumer le corps de Julie Anne Plamondon pour que soit pratiquée une autopsie. On découvre alors qu’elle a été empoissonnée. Après une chasse à l’homme, Omer Rochette est arrêté à Chicago. Il sera ramené à Québec avec sa nouvelle épouse pour subir son procès. L’affaire Rochette marquera les chroniques judiciaires de l’époque à travers tout le Canada.  

Les journaux de l’époque ont fait leurs choux gras de cet homicide dans la famille Plamondon. Ladite Marceau était surement sa maitresse depuis un bon bout de temps, puisque seulement quelques jours séparent le décès de Julie-Anne Plamondon et le mariage d’Omer Rochette à Filion ou Fillon Marceau.

Dans le journal l’Action Sociale du 27 décembre 1907, on retrouve le compte-rendu de l’autopsie pratiquée sur ma grande tante Julie Anne Plamondon. Encore une fois, le nom de la sœur de ma grand-mère Desneiges Plamondon est écrit approximativement. On peut y lire Rose Anne au lieu de Julie Anne. La conclusion est qu’elle a été empoisonnée à fortes doses d’arsenic et que son époux Omer Rochette doit être tenu responsable de ce crime.

Dans Le Soleil du 18 décembre 1907, le journal met la table au sujet d’Omer Rochette avant son arrestation. Ce dernier a quitté la ville, sans doute pour ne pas faire face à la grogne populaire alors qu’il est la cible de plusieurs rumeurs. La fuite, même pour ces motifs, le rend coupable aux yeux de la population et des autorités. Omer Rochette s’affiche en victime lors d’une entrevue donnée à un journaliste en dehors de Québec :

« Je suis Omer Rochette ; je suis de Québec, où l’on m’accuse de toutes sortes d’infamies, où l’on a jeté la consternation dans la population à mon sujet, où l’on va encore plus loin, en m’accusant d’avoir empoisonné ma femme. Je sais que les circonstances sont contre moi : c’est toujours comme ça quand les choses arrivent. Il y a un semblant de preuve accablant contre moi, et c’est pourquoi j’ai quitté Québec si soudainement. Je dois déclarer qu’il n’y a rien de fondé dans ce que l’on colporte contre moi dans les accusations qu’on accumule sur ma tête. »

L’article parle de son épouse décédée comme d’une mère dévouée, dont le coronaire a exigé que le corps soit exhumé à cause des soupçons d’empoissonnement.

Dans La Patrie du 31 décembre 1907, le journal rapporte les aveux qu’Omer Rochette aurait faits lors de son arrestation à Chicago. C’est du moins ce que la rumeur dit selon le journal. Curieuse façon, avouons-le, qu’une rumeur soit vraie pour transmettre une telle information.

Omer Rochette, après avoir affirmé son innocence aux policiers au moment de son arrestation le 28 décembre 1907, aurait dit le lendemain le détective McCaskill :

« Je l’ai tuée parce que nous nous chicanions sans cesse. Pendant onze ans, ça n’a été qu’une bataille continuelle; j’en suis devenu à demi fou; après sa mort j’ai aimé la fille Filion Marceau et je l’ai mariée. »

L’article nous en dit un peu plus sur Filion Marceau. Elle était la fille d’un hôtelier de Québec. Omer Rochette la connaissait depuis longtemps. Assise sur un banc dans sa cellule du poste de la rue Harrison à Chicago, elle aurait balbutié qu’elle était bien souffrante et qu’elle croyait mourir d’énervement. Elle s’était d’ailleurs évanouie au moment de leur arrestation le matin même dans un restaurant de l’avenue Wentworth dont Rochette avait fait récemment l’acquisition.

Omer Rochette tant qu’à lui aurait été placé en détention dans une cellule du sous-sol de l’Hôtel de Ville afin d’être interrogé par les enquêteurs de Chicago. Le 30 décembre, McCaskil accompagna le couple en extradition vers le Canada.

Le Peuple, journal de Montmagny en date du 17 janvier 1908, souligne à son tour dans un résumé sur le l’enquête en lien avec l’affaire Rochette tenue à Québec le 15 janvier, la présence parmi les témoins entendus, de mon arrière-grand-mère, mère de Julie Anne Plamondon, Madame Élie Plamondon (née Malvina Thibaudeau, 1852-1934) et du frère de la victime, Arthur Plamondon (1891-inconnue).

Dans le témoignage de Madame Élie Plamondon, on apprend que Rochette a déjà abandonné feue son épouse quelques années auparavant pour aller vivre à Winnipeg. Elle avait dû alors placer ses enfants dans un couvent et retourner vivre chez sa mère. On peut présumer que la pauvreté était en cause.

L’Action Sociale de son côté nous informe dans son édition du 8 janvier 1908 que Filion Marceau-Rochette est aussi détenue. La défense demande sa libération, ce que la Couronne conteste. Elle devra rester incarcérée au moins jusqu’au 16 janvier, la Couronne s’engageant à fournir des preuves pour justifier son opposition à cette demande.

Dans le journal Le Peuple du 24 avril 1908, il est intéressant de lire les différents témoignages dans cette affaire. On y apprend plusieurs choses.

Le soir du 13 novembre 1907, la belle-sœur d’Omer Rochette (Angélina Morency, épouse de Télesphore Rochette, frère de l’accusé) visite Julie-Anne à la maison familiale. Elle raconte que sa belle-sœur était très malade. Elle croyait que son état était dû à la consommation de fèves en conserve, ce qui lui causait des maux d’estomac. Angélina est restée avec la malade jusque vers 22h30. Après son départ, Omer Rochette était demeuré avec sa femme et ses enfants. Lors de son témoignage, on apprend qu’une poudre blanche a été donnée à la malade pour la faire reposer. Elle poursuit en disant que la défunte lui a confié que ses enfants avaient aussi été malades après avoir mangé des conserves, à l’exception de sa fille qui n’en avait pas mangé. Omer Rochette a même dit au médecin de sa femme qu’elle n’avait pas une indigestion ordinaire, mais que c’était bien causé par la consommation de fèves en conserve.

Parmi les différents témoignages, il y a celui d’Amanda Rochette, nièce de l’accusé ainsi que de son neveu Alfred Rochette. Ce dernier raconte aller souvent chez son oncle, que se dernier était empressé auprès de sa femme pendant sa maladie. Il aurait même vu pleurer. Il n’aurait pas eu connaissance que l’accusé ait donné autre chose à sa femme que du Brandy, du Bromo-Seltzer et de l’eau de Vichy . Il aurait même suggéré à la défunte de faire venir sa mère de Saint-Raymond, ce à quoi elle aurait dit que ce serait inutile de la déranger.

C’est le dernier témoignage, celui du docteur Marois, qui en dira davantage sur l’ingestion de poison par la défunte. C’est à la demande de la Couronne que Marois revient et  répète ce qu’il a déjà dit lors de sa déposition. La quantité d’arsenic trouvée dans les viscères de la défunte démontre scientifiquement qu’elle en aurait consommé de façon répétitive et quotidienne, probablement dès le 12 novembre, soit cinq jours avant sa mort. Il affirme aussi que les substances organiques qui se trouvent dans les conserves ne peuvent pas développer de poison en quantité suffisante pour causer la mort. Il est improbable que la consommation de fèves en conserve ait pu causer la mort de Julie Anne Plamondon.

Source : https://diffusion.banq.qc.ca/pdfjs-1.6.210-dist_banq/web/pdf.php/RHK7mn7dNX5TxTBiKy1jmA.pdf

Le 28 avril 1908, L’Action Sociale annonce en première page qu’Omer Rochette est reconnu coupable du meurtre de Julie Anne Plamondon. Il est condamné à la peine capitale. Certains détails dans cet article apportent un éclairage sur la seconde femme de Rochette.

Source : https://diffusion.banq.qc.ca/pdfjs-1.6.210-dist_banq/web/pdf.php/SYkRMtDI3C1_LVkmhWjqew.pdf

Il y aura appel de la décision du tribunal sur la pendaison d’Omer Rochette. Une des raisons évoquées est tout l’aspect circonstanciel des témoignages et des faits. Une pétition (listes) sera signée par plus de 6000 personnes pour demander que la sentence soit commuée en emprisonnement à vie.

Le tribunal a finalement commué la peine de mort d’Omer Rochette en emprisonnement à vie. Le 13 août 1908, le prisonnier a été transféré sous bonne garde à la prison de Saint-Vincent-de-Paul.

Mise à jour du 12 octobre 2022: Le recensement de 1911 de la prison de Saint-Vincent-de-Paul à Laval confirme la présente d’Omer Rochette comme détenu. À ce jour, j’ai une piste sur son décès. Il pourrait être décédé à l’Hôtel-Dieu de Montréal le 11 septembre 1939 à l’âge de 62 ans. Il aurait été inhumé le 13 septembre au Cimetière Saint-Charles de Québec. Dans le registre, il serait l’époux d’Albina Marceau. Ce prénom diffère de Fillion. Peut-être est-ce la même personne pour une raison qui nous échappe. Je poursuis mes recherches.

Recensement de 1911, prison de Saint-Vincent-de-Paul

Cette histoire a fait la une des journaux de l’époque à travers le Canada. J’imagine à quel point toute cette affaire a pu affecter à la fois la famille Plamondon et celle des Rochette. C’est d’une grande tristesse.

Pour ma part, vous raconter ce drame familial qui s’est joué il y a maintenant presque 115 ans a pour but de faire devoir de mémoire sur un fait divers qui a mis en scène des personnes que je n’ai certes pas connues, mais qui font partie de mon Histoire de famille. Il est préférable de se rappeler pour éviter que de tels homicides ne se reproduisent.

Dernier d'une famille de trois enfants, j'ai œuvré une partie de ma vie dans le domaine de la santé et des services sociaux. Depuis neuf ans, j'ai entamé une nouvelle carrière comme directeur d'un organisme communautaire LGBTQ (2012-2021). Depuis avril 2021, je suis en pré-retraite et j'agis à temps partiel comme coordonnateur aux communications et agent de liaison d'un organisme familiale inclusif. Amateur d'opéra et de ballet, je suis passionné par la recherche, l'histoire, la généalogie, le cinéma et les arts en général.

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