Blanche-Alice et Antoinette Jarest
Les personnes les plus significatives dans ma famille du côté maternel auront été sans aucun doute Antoinette et Blanche-Alice Jarest. Toutes deux étaient les sœurs de mon grand-père Albert.
Après la séparation de ce dernier d’avec Marie Perreault, ma mère Yvette et son frère Gérald ont été pris en charge par les parents de Marie, Flore Roy et Jean Perreault, probablement à Lambton en Estrie.
Comme ma mère avait de facilité à apprendre sur les bancs d’école contrairement à son frère, elle a été envoyée dans la famille de son père Albert pour qu’elle puisse faire des études. Comme mon grand-père habitait au Minnesota , ce sont les sœurs Jarest qui sont devenues pour elle une figure maternelle.
On m’avait raconté qu’Antoinette était la première et que Blanche-Alice la treizième de la famille. Lorsque j’ai fait mes recherches, je n’ai retrouvé que neuf enfants. J’ai constaté aussi qu’Antoinette n’était pas l’ainée. Dans les divers documents, j’ai découvert que l’ainé s’appelait Dominique (1881-1921). Il était aussi connu sous le nom de Frère Odilon dans la communauté catholique des frères du Sacré-Cœur au couvent d’Athabaska (Victoriaville) au Centre-du-Québec. Il était entré en religion à l’âge de 14 ans. Il avait professé ses vœux perpétuels en 1905.
Registre de ND du Rosaire de Saint-Hyacinthe, 1881 Baptême de Dominique JarestFrère Odilon (Dominique Jarest)
Il est né à Saint-Hyacinthe le 3 juillet 1881. Il a fait des études à l’Académie Girouard fondée par le curé Antoine Girouard en 1811 dans son presbytère. Plus tard, l’Académie sera construite sur le site de l’évêché actuel de Saint-Hyacinthe, avant de déménager dans un nouveau bâtiment plus à l’Est en 1853. Il s’agit du Séminaire qui deviendra en 1969 le Collège Antoine-Girouard. L’école secondaire Casavant y déménagera ses classes en 2015, le collège ayant fermé ses portes à cause de difficultés financières.
Une autre fille du nom de Marie-Rose Malvina est née en 1882, entre Dominique et Antoinette. À part un document soulignant son baptême dans l’église catholique, je n’ai retracé rien d’autre à son sujet pour le moment.
Registre de ND du Rosaire de Saint-Hyacinthe, 1882 Baptême de Marie-Rose Malvina Jarest (Jarrest)
Quand Antoinette Jarest est née le 6 avril 1884 à Saint-Hyacinthe, Québec, son père, Jean-Baptiste avait 25 ans et sa mère Malvina Fredette avait 22 ans. Elle est décédée à Sherbrooke, Québec le 9 septembre 1966 à l’âge de 82 ans après avoir lutté contre le cancer pendant plus d’une décennie.
Aucun document retrouvé en lien avec le baptême d'Antoinette Jarest (Jarret) Ce document de recensement de 1901 à Saint-Hyacinthe nous indique cependant une date pour sa naissance.
Quand Blanche-Alice Jarest est née le 30 juin 1901 à Saint-Hyacinthe au Québec, son père Jean-Baptiste avait 42 ans et sa mère Malvina Fredette avait 39 ans. Elle est morte à Sherbrooke, le 21 mars 1985 à l’âge de 83 ans. Elle avait des problèmes cardiaques depuis plusieurs années et souffrait de déficits cognitifs depuis quelques mois.
Aucun document retrouvé en lien avec le baptême de Marie Blanche-Alice Jarest Ce document de recensement de 1911 à Saint-Joseph-de-Sorel nous indique cependant une date pour sa naissance. Elle est inscrite sous le prénom de Marie Blanche. Le nom de famille est écrit de la bonne façon.
On ne peut pas séparer les deux sœurs l’une de l’autre. Elles ne se sont jamais mariées. Elles ont toujours vécu ensemble, que ce soit à Saint-Hyacinthe, Sorel, Richmond ou Sherbrooke. Plusieurs documents de recensement le confirment. On retrouve Blanche-Alice comme secrétaire, professeur et gouvernante. Antoinette a été garde-malade[1] et gouvernante. Elles ont pris soin de leur parents et de leurs frères.
Une rumeur qui a circulé un temps raconte que les deux filles de Jean-Baptiste et Malvina, auraient fait vœu de chasteté même si elles ne sont jamais entrées en religion. Il s’agit peut-être d’une légende ou peut-être d’un fait avéré. Les deux sœurs étaient très croyantes et pratiquantes.
Je me rappelle très bien de la récitation du chapelet à la radio par le cardinal Paul-Émile Léger alors que nous étions à genoux à prier au vivoir[2] ou à la cuisine, des longues célébrations religieuses à l’église, du défilé des cousins monseigneur et des cousines religieuses à plusieurs occasions. C’est ce qu’on appelle une enfance à l’eau bénite.
Sans être parfaites et même assez directives dans l’éducation de ma mère, ces deux femmes nous ont profondément aimés. Je peux certes juger certaines de leurs actions, être en désaccord avec leurs préjugés ou leur foi imbue de scrupules et de rigorisme, il n’en demeure pas moins que c’est leur amour qui a fait une différence dans notre vie familiale. En remettant ces quelques reproches dans le contexte de l’époque et de leur éducation, il est facile de pardonner et de se souvenir d’elles comme des femmes exceptionnelles.
Dès leur arrivée à la maison quand elle nous visitait, j’accaparais à moi seule cette chère « Monténette[3] » dont je poudrais le visage et que je recoiffais à ma manière de petit bonhomme de quatre ou cinq ans. Elle ne disait jamais un mot. Elle se laissait faire. C’était de grands moments de complicité.
On m’a raconté que sur son lit de mort, c’est mon nom qu’elle aurait prononcé avant de rendre l’âme. Je m’abstiens de vous raconter les détails et la façon dont cette histoire m’est parvenue. Je crois qu’il y a un fond de vérité, mais j’ai certains doutes sur l’embellissement du récit au sujet de son dernier souffle de son dernier qui ressemble davantage à la fin d’une grande tragédie. La seule chose importante est l’amour, le reste, c’est du cinéma. J’avais neuf ans lorsqu’elle nous a quittés. Elle a laissé un vide immense dans ma vie.
J’avais très peu connu monsieur et madame Osias Lacroix qui étaient mon parrain et ma marraine. Enfant, lorsque j’avais appris que ma marraine était décédée, j’avais demandé à Antoinette de la remplacer. Je la choisissais parce que je l’aimais. Je croyais dans mon cœur d’enfant que je pouvais remplacer les gens qui mourraient par d’autres personnes.
Ma relation avec Blanche-Alice était différente. À l’adolescence, lorsque je vivais des conflits avec ma mère, c’est elle qui tentait de calmer le jeu. Elle m’écoutait. Je me sentais compris. Je lui téléphonais régulièrement. Nous nous racontions plein de choses. J’éprouvais un grand bonheur quand j’allais la chercher au terminus d’autobus ou à la gare lorsqu’elle prenait le train pour venir passer le temps des fêtes avec nous. C’était un moment privilégié où j’étais seul avec elle.
Dans les dernières semaines de sa vie alors qu’elle était hospitalisée, je suis allé la visiter. J’ai eu le cœur brisé. Elle ne savait plus qui j’étais et comment je m’appelais. Cette femme à l’esprit si vif s’éteignait au gré des jours. Je me souviens avoir fait le trajet de retour à Montréal en autocar, incapable d’arrêter de pleurer. J’étais convaincu que je l’avais vu pour la dernière fois.
Quelques semaines plus tard, elle s’est éteinte. Je perdais cette grand-mère adoptive dans une période de ma vie déjà très difficile. Pour elle, j’ai accepté de lire un texte biblique lors des funérailles. Je ne sais pas comment j’y suis parvenu. Je voyais l’assemblée comme à travers d’un voile. J’avais la voix étranglée par le chagrin.
Repas de fêtes en famille à Longueuil vers 1962
Mes parents n’étaient certes pas des gens fortunés. Si les périodes des fêtes ont été magiques à certains moments, c’est grâce à générosité d’Antoinette et de Blanche-Alice. Ma mère m’a raconté qu’à une certaine époque, il n’y aurait pas eu de cadeaux sous l’arbre de Noël si elles n’avaient pas été là. Ces deux femmes ont habité ma jeunesse. Elles sont encore très présentes dans mon cœur et dans mes souvenirs.
Dans le prochain billet, je vous parlerai du legs de Blanche-Alice dans la communauté sherbrookoise.
Blanche-Alice Jarest en 1910
Antoinette Jarest 1910
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[1] Au Québec, les infirmières et les infirmiers sont parfois appelés des gardes-malades. Cette appellation est inexacte, la garde-malade ou le garde-malade ne donne pas de soins, mais surveille et aide les malades dans les actes élémentaires de la vie (par exemple, l'alimentation). Source : http://www.oqlf.gouv.qc.ca/accueil.aspx [2] Salle de séjour ou salon. Blanche-Alice employait le mot vivoir. [3] C’était la façon que j’appelais Antoinette.
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