Marie Perreault-Jarest et sa fille Yvette Jarest âgée de 2 ans,
Duluth, Minnesota, États-Unis, 1923

Suite des articles:

À la recherche de la famille inconnue / À la recherche de l’oncle inconnu  / À la recherche de l’oncle sans nom / Ma fascination pour le village de Lambton et la famille Perreault

Depuis le début de l’été 2020, je me questionnais sur ce qui avait pu arriver à Marie Perreault. Il paraissait maintenant évident que quelque chose s’était passé entre 1921 et 1925. S’agissait-il d’une séparation ou un divorce? C’était assurément une situation très mal vue dans une société comme la nôtre à cette époque, surtout pour une femme davantage que pour  son époux.

Faut-il rappeler que le Québec vit dans un modèle de domination masculine ? Les femmes ne pouvaient décider de rien dans le couple sans le consentement de l’époux. Elles ne pouvaient même pas avoir un compte bancaire. Elles devaient être soumises totalement à leurs maris. L’Église catholique exerçait sur le peuple une influence quasi sectaire. Les femmes étaient là pour faire des enfants et faire grandir la nation canadienne-française. Divorcer était impensable. Empêcher la famille, peu importe la raison, était passible de dénonciation en chaire ou de refus d’absolution au confessionnal.

Les femmes n’avaient pas non plus le droit de vote. Elles l’ont obtenu qu’en 1940. Il faudra attendre en 1969 pour qu’il en soit de même pour les femmes autochtones. Lire : Le 18 avril 1940 — L’adoption du droit de vote des femmes : le résultat d’un long combat.

Marie Perreault est venue au monde en 1894. Elle vivait dans ce contexte où elle tentait de laisser son empreinte tant bien que mal en ce début de 20e siècle.  C’est  après son passage avec Albert Jarest à Sault-Sainte-Marie en Ontario que j’avais quelque peu perdu sa trace.

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Albert Jarest, 1910

Vers le mois d’août 2020, j’ai retrouvé son neveu Luc. Il m’avait  laissé un message sur ma boîte vocale, quelques jours après que je l’ai contacté.  Il m’expliqua qu’il était revenu d’Afrique vers 1992. Il ignorait que ma mère  était décédée en 1993.

Sans que je parvienne à comprendre à ce moment là  la raison de la coupure des relations de ma mère avec la famille Perreault, Luc m’offrait l’occasion de mieux saisir ce qui s’était passé.

Il me parla que Claire Lussier (soeur de Doris) qui était très amie avec ma mère. Elles avaient fréquenté la même école. Elle et Luc auraient voulu la revoir, mais qu’ils n’ont jamais su ce qu’elle était devenue après son mariage. Tout ce qu’ils savaient, c’est qu’elle était allée vivre à l’île d’Orléans.

J’ai alors appris que Marie s’était effectivement séparée d’Albert Jarest. Ce dernier avait un fort penchant pour l’alcool. Lorsqu’il était en état d’ébriété, ça brassait pas mal dans la maison. Il est probable que Marie ait subi de la violence conjugale. Contrairement à Albert, son second époux Émile Demers avait fait preuve de douceur et de bienveillance envers elle tout au long des années qu’ils vécurent ensemble, ce qui m’a fait grand bien de savoir.

C’est Jean Perreault et Flore Roy, les grands-parents de ma mère, qui avaient décidé d’adopter des deux enfants de Marie et d’Albert à la suite de leur séparation. Luc m’a aussi appris  que mon oncle Gérald était venu au monde à Duluth, Minnesota, aux États-Unis.

Ma mère et son frère allaient à l’école à Lambton. Si ma mère avait beaucoup de facilité à apprendre, ce n’était pas le cas de son frère. C’est la raison pour laquelle Gérald a commencé très jeune à travailler à la ferme des Perreault située sur le 1er Rang du village. Il a été définitivement adopté par son oncle Elzéar Perreault, je ne sais trop à quel moment.

Ma mère a été envoyée chez les sœurs d’Albert Jarest à Sherbrooke. C’est à ce moment-là que les tantes Antoinette et Blanche-Alice prirent en charge son éducation. Les deux sœurs étant mieux nanties. Ma mère a donc pu faire des études et recevoir une éducation assez exceptionnelle pour une jeune fille à l’époque. Elle a eu son « Baccalauréat ès arts ».

Luc me confirma aussi que Gérald Jarest avait été bel et bien inhumé dans le lot de la famille Perreault à Lambton. Je le savais par les documents que j’avais retrouvés, mais je n’avais pas vu son nom sur le monument à ma première visite. C’est lorsque je suis retourné au cimetière à l’automne de 2020 que je le verrai sur le côté du monument. Il était très jeune lorsque son parrain Gérald est décédé.  On lui avait raconté qu’après avoir été frappé par la foudre, son corps avait été retrouvé complètement calciné. J’imagine ce que Marie a dû ressentir en perdant aussi dramatiquement son deuxième enfant.

Je crois, sous toute réserve, que la mort de Gérald a sans doute contribué à éloigner ma mère de la famille Perreault. À l’époque, les différentes couches sociales se définissaient par l’instruction et la richesse. Les Jarest étaient des personnes avec un statut social important dans leur milieu. Les Perreault étaient une famille de cultivateur. Je trouve absurde qu’on puisse définir des classes de cette façon. Une des tantes a déjà affirmé que ma mère avait reçu une éducation pour épouser un avocat ou un juge. Ma mère a pourtant épousé un professeur sans le sou, mais que les tantes aimaient beaucoup pour ses qualités et parce qu’il était avant tout un bon catholique. Sans doute avaient-elles été choquées par l’amour que ma mère avait éprouvé envers un protestant pendant la guerre?

Cette pensée dominante des classes a aussi fait partie de mon éducation. Combien de fois ma mère m’a-t-elle interdit de fréquenter des amis parce qu’ils n’étaient pas de notre classe sociale? Cette façon de catégoriser les gens me répugne profondément. Je trouve ça aussi abject que le racisme ou l’antisémitisme. On ne choisit pas la richesse ou la pauvreté en venant au monde, on ne choisit pas nos familles. Nous devons apprendre avant tout ce qu’est la bienveillance et l’acceptation de la diversité des êtres humains avec qui nous interagissons. Dans mon coeur, les métiers de la terre sont les plus nobles car ils contribuent à nourrir l’humanité.

En discutant avec mon frère, mon ainé de dix ans, il s’est souvenu que dans les années 1960, Marie Perreault avait tenté de reprendre contact avec ma mère. Elle avait contacté un cousin, Jean-Louis Jarest. Ma mère avait accepté de la rencontrer. Elle refusa de rétablir les ponts, prétextant que le seul lien familial, qui pour elle était significatif, demeurait celui qu’elle entretenait avec les tantes qui s’étaient occupées d’elle.

Je suis quand même sceptique. Certains faits parlent d’eux-mêmes. Je crois que les tantes ont probablement demandé à ma mère de couper les ponts avec Marie et sa famille. Même si j’ai une grande admiration et beaucoup d’amour pour ces deux femmes, il n’en demeure pas moins que certaines actions sont pour moi questionnables.

Ma mère avait étudié la musique. Lorsqu’elle s’est fiancée, les tantes ont décidé de vendre son piano. Ma mère avait questionné leur décision. Lorsque j’ai entendu de la bouche de ma mère les raisons évoquées à l’époque, j’ai été sidéré. Nul besoin de piano à la maison puisque son temps devait maintenant être consacré à son mari et ses enfants. Ma mère n’a jamais retouché à un piano à partir de ce jour. Après son décès en 1993, j’ai retrouvé une valise contenant ses partitions musicales.

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Yvette Jarest au piano

Je me suis rappelé une discussion que nous avons eue quelques semaines avant qu’elle nous quitte. Elle m’avait dit : « Toute ma vie, j’ai fait ce qu’on attendait de moi. Ne fais pas la même erreur! »

Ces paroles sont devenues encore plus évidentes au cours de l’été. Mon frère a retrouvé des documents dans une boîte qui n’avait pas ouverte depuis 27 ans. Ils avaient appartenu à ma mère. On y a découvert le contrat de mariage de mes parents. Le document avait été rédigé par un notaire, un grand ami des tantes. On peut y lire que ma mère est la fille d’Albert Jarest et de Marie-Perreault, tous les deux décédés. Pourtant, Marie Perreault n’est décédée qu’en 1979. Le contrat de mariage datait de 1946. Pourquoi un tel mensonge?

Aucun membre de la famille Gauvreau et Perreault n’étaient présents lorsque ma mère s’est unie à mon père Vincent Gauvreau le 20 juillet 1946 à l’Église Sainte-Bibiane-de-Richmond. Contrairement aux cousins et cousines de la famille Jarest, je n’ai retrouvé aucune mention du mariage de mes parents dans les chroniques mondaines du journal « La Tribune » de l’époque.

Yvette Jarest et Vincent Gauvreau
20 juillet 1946
Église Sainte-Bibiane de Richmond

Je ne peux que conclure qu’il y a eu dans la famille Jarest, une volonté d’effacer Marie Perreault de la mémoire familiale. Une femme qui quittait son époux peu importe la raison était sans doute objet de scandale à l’époque, même si l’époux était alcoolique et s’il battait sa femme. Il fallait sauver les apparences avant tout. Il est évident qu’il fallait préserver la réputation d’Albert et de la famille Jarest. Quelle hypocrisie!

Pourquoi Marie devait-elle subir l’opprobre. Elle a fait ce que toute femme sensée doit faire en pareilles circonstances?  En faisant passer mes grands-parents pour morts, on a voulu étouffer le scandale. C’était ignorer qu’un jour, un des petits fils de Marie Perreault-Jarest creuserait suffisamment pour lever le voile sur un secret de famille qui n’a pourtant rien de honteux. Il ne fait que raconter le courage et la résilience de Marie, ma grand-mère dont l’histoire me touche profondément.

Mon frère a aussi retrouvé une photo de Marie, prise à Duluth en 1923. On la voit avec ma mère, âgée de deux ans. J’ai pu enfin mettre un visage sur le nom de « Marie Perreault ».  Je peux affirmer qu’une gamme d’émotions m’ont alors traversé. C’était la première fois à 63 ans que je voyais ma grand-mère.

En quelques mois, j’ai fini par découvrir une partie ce qu’avait vécu Marie Perreault à l’époque où elle vivait avec mon grand-père. J’avais pu réunir dans mon coeur tous ses enfants, le premier  inhumé au cimetière de la Cathédrale de Saint-Hyacinthe, le deuxième au cimetière Saint-Vital de Lambton et ma mère, inhumée au cimetière de Saint-Lambert (Longueuil). J’avoue cependant que cette histoire me laisse un goût amer. J’ai l’impression qu’une partie de mon histoire a reposé sur un gros mensonge. Il y a peut-être une autre part de vérité qui se cache ailleurs et à laquelle je n’ai pas encore accès. Chose certaine, toutes ces personnes, qu’elles soient justes ou injustes, qu’elles aient bien ou mal agi, sont maintenant égales dans la mort.

Sépulture d'Yvette Jarest-Gauvreau
Fille d'Albert Jarest et de Marie Perreault
Fille adoptive de Blanche-Alice Jarest
1921-1993
Cimetière de Saint-Lambert

Mise à jour en date du 30 juin 2021:

Dernièrement, en discutant avec d’autres chercheurs en généalogie, j’ai obtenu des informations sur le lieu de sépulture de ma grand-mère Marie Perreault-Jarest. Elle se serait remarié avec Émile Demers le 14 juillet 1940. Le document du registre de l’Église Saint-Eusèbe-De-Verceil à Montréal dit que Marie Perreault était veuve de Joseph (Albert) Jarest. Ce dernier pourrait être décédé entre 1937 et 1930. Je n’ai aucun document pour le confirmer.

Cette information confirme la notification de mariage à la ville de Montréal, qui dont la transcription était erronée sur l’âge des époux.

Marie Perreault est inhumée avec Émile Demers au Repos Saint-François d’Assise dans la section 3-Rosaire près de l’entrée nord (rue Beaubien) du cimetière. Le 29 juin 2021, j’ai visité sa sépulture pour la première fois.

Marie Perreault et sa fille Yvette. Monument funéraire au Repos Saint-François d’Assise de Montréal.

Dernier d'une famille de trois enfants, j'ai œuvré une partie de ma vie dans le domaine de la santé et des services sociaux. Depuis neuf ans, j'ai entamé une nouvelle carrière comme directeur d'un organisme communautaire LGBTQ (2012-2021). Depuis avril 2021, je suis en pré-retraite et j'agis à temps partiel comme coordonnateur aux communications et agent de liaison d'un organisme familiale inclusif. Amateur d'opéra et de ballet, je suis passionné par la recherche, l'histoire, la généalogie, le cinéma et les arts en général.

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